Se raconte...


Texte publié en 1995 lors de l’exposition "Autobiographie" à Sarrebruck.

 

JEAN-PAUL BERGER

 

Né en 1947, à l'Est de Paris, je suis enfant unique. Mon père, Émile, est cadre dans une compagnie d’assurances, ma mère Paulette est mère au foyer. Je vis jusqu’en 1970 dans le 12e arrondissement, le long du Bois de Vincennes où je passe mes après-midi d’enfant avec ma mère ; je fréquente l’école primaire puis le collège de l’Ave­nue Michel Bizot, ensuite le lycée Arago avant d’entrer sur concours à l’École Normale d’Instituteurs de Paris.

Durant toute cette époque je séjourne trois mois par an dans un village du Bourbonnais dont la famille paternelle est originaire. Alors que dans la capitale, je n’ai pas la liberté de sortir seul dans la rue, au village, en revanche, je me promène sans contrainte, à bicyclette ; de là vient mon intérêt pour la na­ture, qui me fera décider d’étudier les sciences naturelles - il s’avère en fait que la nature était synonyme de liberté, mais aussi un terrain fertile pour l’obser­vation - la vie, les lumières, et l’écoute… -.

Dans les années 30, mon père, aimait à photographier, développer et tirer, il l’avait ap­pris d’un grand-oncle ; ils possédaient un folding Photoplait 9x12 et un Kodak 6x9 ; j’aime alors feuilleter les albums de photos et particulièrement ce­lui contenant des photos sur Paris réalisées dans les années 30 par le grand-oncle Victor. J’ai douze ans, je décide alors de reprendre le Kodak de mon père et d’aller photographier les trains quittant la Gare de Lyon aux abords de la Porte de Charenton - nous n’avions pas de voi­ture et le train était porteur des rêves de voyages -. Voyant cela, mon père me propose si j’obtiens le BEPC de m’offrir un appareil, c’est un Focasport 1B - je l’ai toujours ! -, nous sommes en 1961, j’ai quatorze ans. Je réalise des diaposi­tives Kodachrome et en économisant achète des bonnettes (1 et 2 dioptries), un télémètre pour photographier les expositions florales comme celles du Parc de Sceaux ou de Bagatelle. Je deviens membre du Photo-club du Touring Club de France.

Après avoir obtenu en 1965, le baccalauréat de mathématiques, j’entre­prends des études de biologie à la Faculté des Sciences de Paris-Jussieu. Je rencontre F. lors d’un séjour en colonie de vacances où nous étions moniteurs, elle est institutrice et devient son épouse en 1968. J’obtiens la Licence de Biologie en 1969 et suis titularisé professeur en 1970. Durant cette période je m’équipe en matériel reflex pour la micro et la macrophotographie, la photographie des animaux sauvages. En 1969, je deviens membre de la Société Française de Photographie et des 30X40 Paris - en 1995, je suis toujours membre des 30X40 -. Je réalise des diaporamas dont « Caoutchouc » en 1970 (montage poétique dans le cadre d’un travail sur l’industrie chimique du caoutchouc). F. par­ticipe à toutes les réunions et à la conception des diaporamas. Je m’équipe d’un labo pour le tirage des photos noir et blanc.

De 1970 à 1980, nous partons vivre et enseigner au Maroc ; d’abord dans un village, Tiflet, puis à Rabat. Pour F. commence alors une période de production photographique qu’elle stoppera en 1978. Nous nous tournons vers le monde de la photographie amateur : création du Photo club de Kénitra, membres du Photo club de Rabat, je deviens ensuite président du CEPAM (Comité d’Entente des Photographes Amateurs du Maroc, affilié à la FIAP) ; nous participons en 6 ans, de 1972 à 1978, à de très nombreux salons et festivals interna­tionaux, nous produisons des diaporamas dont « Grand-mère m’a ra­conté » (primé dans la plupart des festivals européens), organisons deux salons internationaux, des cours de formation à la photogra­phie sous l’égide des Centres Culturels Français, invitons Édouard Boubat, Guy Le Querrec, Claude Raymond-Dityvon. Nous sommes récompen­sés Artiste FIAP, respectivement en 1975 et 1976, je deviens Excellence FIAP en 1978. Nous nous lions d’une grande amitié avec Yves d’Ans, Yvon Kervinio et Jean Bourguedieu.

En 1975, pendant deux mois, nous partons F. , Yves et moi en re­portage en Europe ; il en résulte une exposition collective, «Reportage» (Rabat et Tanger - 1975, Fontainebleau et Paris - 1977) et la parution d’un livre photo­gra­phique édité par MAP en 1977, dans une série poche. En 1976, F. et moi partons en Inde, nous exposons ce travail, « Images de l’Inde », à Rabat en 1977, puis la même année, nos meilleures images à la Galerie Odéon-Photo Paris.

Durant ces deux années, sous l’impulsion d’Yvon Kervinio, est créé le groupe Composite, regroupant dix photographes ; chaque année, le groupe pu­blie un recueil de photographies. - Ainsi seront publiés Composite 1976 (500 ex) et Composite 1977 (1500 ex, édité par MAP et préfacé par Jean-Claude Lemagny) -.

La participation aux salons internationaux est une bonne école pour améliorer la technique de tirage, mais les limites d’une photographie par trop désuète de­viennent vite un obstacle, mes images de reportage ne correspondent pas aux critères de sélection des salons, il faut faire des images spécialement pour les salons - cela servira à savoir faire des images de commande - ; j’aban­donne ma participation en 1978 et me tourne définitive­ment vers le reportage d’agence- sans doute la rencontre avec Guy Le Querrec, en 1978, y est pour quelque chose -, F. arrête de photographier - je n’ai jamais su pour­quoi -. Pendant deux ans je travaille sur le Maroc, le Portugal et la France, il en résulte « Regards », ex­posé à Rabat en 1979 puis à la Galerie Nicéphore Niepce (Lorient, France, 1980).

De 1980 à 1981, nous revenons vivre à Paris. Je suis membre de l’Agence Viva qui de viendra la Compagnie des Reporters. En 1981, je pars enseigner à Londres, F. me rejoint un an plus tard et nous nous séparons en 1985. Je réalise, durant les années 80, des sujets de fond : l’élection présidentielle de 1981, la rue et la foule des villes (Londres principalement), Sri Lanka 1982, les fêtes re­ligieuses en Espagne, les squats, la jeunesse, la drogue en 1984-85… La ferme­ture de la Compagnie des Reporters, mon éloi­gnement de Paris, ma rencontre avec I. qui travaille dans la mode au Royal College of Art, m’orientent vers un travail free-lance déjà fortement amorcé (mode, portraits, théâtre). Le tra­vail sur le Maroc est montré en 1985 à l’Ame­rican College of London. Une ré­trospective des photographies de reportage, « Photographies », est organisée, en 1986, à Paris, à l’École des Hautes Études des Sciences Sociales puis la même année à Londres, à la Galerie Matisse de l’Institut Français. Les Éditions de l’Aventure Carto me propose d’éditer une sélection des photographies de reportage qui sera publiée en 1989, « Carte blanche à Jean-Paul Berger, 1978-1987 ». J’expose une commande des services culturels des Affaires Étrangères, "les photo­graphies de coulisse" de la compa­gnie Christian Rist, au Théâtre de l’Athénée à Paris.

En 1987, je quitte Londres et me réinstalle à Paris et en province. En 1989, je pars enseigner à Saarbrücken, en Allemagne. Ayant coupé les contacts avec la clientèle londo­nienne, je décide de me concentrer sur la recherche, d’approfondir les idées non réalisées du fait du travail commercial. Le premier projet « Autobiographie » (1988-89) est une sorte de thérapie à durée limitée dans le temps, elle évoque la sensualité et la connivence qui existaient entre Françoise et moi (voir texte à la rubrique « Autobiographie »). Il m’est alors impossible de montrer ce travail, il doit rester dans une boîte (boîte qui figure comme installa­tion dans l’exposition de Sarrebruck en 1993) ; ce n’est qu’en 1992 que j’ouvre cette boîte pour Jean-Claude Lemagny puis à Jean-Pierre Lambert qui l’expose en 1993 dans sa Galerie du Marais (cette ex­position est aussi montrée trois mois plus tard à Sarrebruck). À partir de 1991, j’entreprends en parallèle, « Landshaping », un projet de recherche sur la re­composi­tion de l’espace dans une sculpture réfléchissante installée dans des pay­sages (voir texte à la rubrique "Landshaping") et « Signes », la rencontre d’une technique récente, la pho­to­graphie numérique et d’une technique ancienne, celle de la gomme bichro­ma­tée. En juin 1993, durant Photofolie, je présente une rétrospective de mon tra­vail de reportage et de recherche, à SPÉOS. En 1993-94, je présente, en rela­tion avec un groupe de préven­tion de la toxicomanie en Sarre et en Lorraine, le travail réalisé à Londres sur les jeunes des squats : une exposition itinérante « 1985, Un reportage autre ». Durant cette période, je retourne en Inde en 1990, je continue de travailler sur la rue à Pékin en 1994 et New-York en 1995.

Avril 1995, je ressens le besoin d’intensifier encore ma recherche en abandonnant les travaux graphiques, comme la mise en page d’ouvrages d’édi­tion, qui m’occupent trop depuis quelques temps, tout en conservant le travail de commande photographique.

 

Sarrebruck, février 1993 - avril 1995